Ca y est, le printemps est là, il me tend les bras et m'invite à sortir prendre des couleurs, me balader dans les bois et filer le parfait amour avec ma copine. J'ai alors pris une décision de Geek : Tirer les rideaux, laisser ma moitié de côté et me coller sur l'ordinateur pour finaliser cette interview d'Hervé Lange, l'auteur de Fer & Flamme et de L'Anneau de Zengara. Cette interview ne couvrira que sa période 8 bits et je vous donne donc rendez-vous d'ici quelques mois pour une seconde interview consacrée cette fois-ici à sa "période" B.A.T...
[Blood] Bonjour Hervé, avant toute chose, quelle est ta formation initiale ?
[Hervé Lange] Ma formation initiale est électronicien, j’ai appris,
d’ailleurs parallèlement à la programmation de ces jeux, la micro-électronique
plus que la programmation, mais cela m’a bien servi car l’assembleur
nécessitait une bonne connaissance des machines et du fonctionnement interne
des processeurs. Ce qui m’a amené à la programmation c’est la rencontre avec
les micro-ordinateurs, dès que j’ai pu en avoir un je me suis passionné pour
leur fonctionnement et comme j'étais bon dessinateur, le jeu vidéo m’a permis
de trouver un terrain d’entente entre ces deux passions cardinales. D’ailleurs
je reste passionné par les interactions de l’art et de la technique.
[Blood] Pour commencer,
je te propose quelques questions très pointues sur tes jeux : Dans F&F
sorti en 1986, au niveau de la maison du magicien de L'ouest où l'on croise
Alfred E. Neuman, on a un indice sous forme d'une feuille avec des équations,
je n'ai pas compris comment utiliser les informations.
[Hervé Lange] Si je me souviens bien une partie de l’équation est purement
illustrative, on est donc sûrement chez un magicien savant (d'où le nom combiné
à partir d’Alfred et de Neuman). Le seul indice il me semble est la position et
les distances de deux médaillons relatifs aux villes de Kawarzim et de Dord.
Il n’y avait pas de réseaux sociaux à l'époque, mais il y avait la COUR DE
RÉCRÉATION ! Les joueurs de l'époque, pionniers eux-mêmes, discutaient beaucoup
des astuces, lisaient religieusement les magazines à la recherche des soluces,
et “s'échangeaient” les programmes. Donc les solutions tordues permettaient
aussi d’allonger la “durée de vie” en mettant à contribution les méninges et
les capacités de collaboration des chères têtes blondes de l'époque.
[Blood] Dans les villes,
on rencontre des personnes qui nous parle, mais ce qu'ils racontent ne sert pas
à l'aventure, avaient-ils un usage ?
[Hervé Lange] Oui, beaucoup de choses ont été ajoutées je crois pour donner
l’impression qu'il y avait un monde et qu'ils servaient le scénario principal.
On retrouve ça dans B.A.T. donc des jeux à monde “ouvert”, moins dans Zengara qui
est plus un jeu d’aventure et qui va droit au but.
[Blood] Impossible de
trouver la source de l'image du boss de F&F Khaal ainsi que l'image de fin.
Est-ce qu'une autre personne a participé aux graphismes ?
[Hervé Lange] Ici je comprends “source” comme une image ayant inspirée les
graphismes mentionnés. Patrick Daher (graphiste de Zombi) m’a donné un coup de
main pour quelques images. Il a justement réalisé ces deux images (Khaal et
l'écran de fin). Je ne crois pas qu’il y ai ici une inspiration autre que le
scénario, mais il faudrait demander à Patrick !
[Blood] Quelles sont les
Inspirations des images des villes ?
[Hervé Lange] En fait l’inspiration vient essentiellement de la vieille
ville moyenâgeuse de Troyes que j’ai souvent visité durant mon enfance vu que
j’y avais de la famille. Sinon pour les environnements je me suis aussi inspiré
de livres d’Histoire, d’encyclopédies, de magazines. Par exemple, les
différents soldats dans le jeu sont inspirés du livre “Les costumes et les
armes des soldats de tous les temps”. Autre anecdote qui n’a rien à voir
avec les livres: il y a un squelette armé qu’il faut battre vers la fin du jeu.
L'idée du squelette vient du film “Jason et les argonautes“ et des créatures
animées en stop-motion de Ray Harryhausen dont j'étais un grand fan. Nous
avions un jeu d’anatomie en plastique à la maison avec un squelette complet, je
l’ai utilisé pour dessiner le sprite du squelette dans le jeu.
Petite digression:
Comment augmenter la durée de vie de votre jeu quand vous avez 16, 64 ou
512 KB de RAM ? La solution la plus populaire était de fabriquer des
labyrinthes à partir de morceaux d’images ou de sprites, qui interchangés au
bon rythme pendant la VBL pouvaient simuler un déplacement. Dungeon Master a le
plus popularisé cette technique devenant précurseur de jeux comme Diablo et
autres Roguelike. J’ai aussi utilisé ces techniques.
[Blood] Comment la carte
du monde a été créée ? A partir de quoi (lieu ou carte réel) et avec quel
logiciel ?
[Hervé Lange] La carte est complètement imaginaire. Je l’ai dessinée et
coloriée d’abord sur une grande feuille de papier, puis encodée dans le
programme caractère par caractère - je crois que cela faisait dans les 40,000
caractères, quel boulot !
[Blood] Quelles sont les
idées abandonnées durant le développement du jeu ou choses qui auraient pu être
réalisées différemment après coup ?
[Hervé Lange] Au dernier moment j’ai dû changer mon formatage de disquette
pour me conformer au système de duplication. J’ai dû modifier le programme et
supprimer quelques images mais je ne me rappelle plus lesquelles, comme c'était
quelques jours avant Noël on a sorti le jeu sans tout retester, il est donc
probable que certains indices soient inutiles où se terminent en queue de
poisson !
On peut citer l’interface originelle qui permettait d'accéder aux fonctions
du jeu directement par des raccourcis claviers. J’ai dû la changer pour adopter
le système d'icônes à la demande d’Ubi Soft pour que le jeu soit jouable au
joystick. Je ne sais plus pourquoi je l’ai enlevé, j'aurai pu la laisser pour
ceux que le contrôle au joystick rebutait… question de temps sûrement.
J'avais prévu quelque chose de plus grandiose pour la fin, mais je manquai
de place et comme Ubi m'avait fait remarquer que le voyage comptait plus que la
destination (comprendre que peu de personnes finissaient les jeux), j’ai
finalement décidé de ne pas y passer trop de temps et simplement de proposer
une belle image !
La carte était la partie du programme dont j’aimais le moins la
réalisation, j’aurais souhaité quelque chose de plus coloré et de plus fluide,
bref un vrai scrolling… C'était mon plan pour F&F2. Les PNJs sur la carte étaient
trop aléatoires, j'aurais aimé les travailler un peu plus pour les rendre plus
intéressants (ex: mémorisation des affrontements, fuite, poursuite,
comportements de groupe).
J’aurais aimé passer plus de temps sur les combats, mieux les tester et
ajouter plus d’effets visuels et d’animations. Je pense que le jeu n’était pas
bien balancé et que certains rôles ne sont pas assez mis en valeur.
Utiliser plus d’assembleur pour économiser plus de mémoire, et accélérer le
chargement, l’affichage et l’animation des images. Une meilleure gestion des
textes (césures, regroupement des textes pour faciliter la localisation) et une
fonte plus stylisée. J’ai fait un meilleur travail sur Zengara par la suite
pour ces deux points.
Le jeu est pauvre en bruitages aussi. Je n'avais pas de bruiteur, avec plus
de temps j'aurais sûrement amélioré cette partie moi-même.
[Blood] Que peux-tu me
dire sur le développement de Zengara sorti en 1987 ?
[Hervé Lange] Il faut commencer par dire que Ubi voulait (sans jeu de mot)
"dur comme fer" une version K7 de F&F. A l'époque, on vendait
plus de jeux K7 que D7 car le 464 était plus populaire et il fallait acheter un
lecteur externe pour lire les D7; et c'était impossible à faire ou il fallait
tout refaire. Alors je leur ai proposé de faire un jeu moins ambitieux et plus
aventure qui pourrait avoir une version K7. Tu ne le mentionnes pas dans ta
vidéo mais Zengara a une version K7. Le temps était compté aussi côté K7: il
fallait faire vite pour “surfer” sur la vague Fer & Flamme et j'ai dû faire
le jeu en l'équivalent de 6 mois (j'étais toujours étudiant et j’y passai
toutes mes fins de semaine), d'où l'utilisation de certaines images dans les
comics pour gagner du temps (je faisais tout seul, sauf la musique d'intro).
Bref, je pensai à F&F2 et je me suis dit que c'était la parfaite
occasion de travailler plus la technologie et de démarrer de nouveaux
engins tout en Z80. Zengara me donnait la possibilité d'une étape intermédiaire
en retravaillant la partie graphique et les combats, en attendant que le
support D7 soit le plus important (quand l’Atari ST est sorti, tu imagines que
ça m’a plus qu'intéressé). Pour F&F2 je n’aurai eu plus qu'à m'atteler à un
nouveau système de scrolling pour la carte (le système de carte de F&F
était ce que je voulais changer le plus) et le moteur RPG… la voie à suivre
était claire et plus mesurée ! Par ailleurs cela m'avait donné l'idée de faire
des jeux aux trames secondaires axées sur des types de personnages plus spécifiques;
ici le guerrier, inspiré donc de Conan (je pensai déjà faire quelque chose plus
tard sur les magiciens). Mauvaise idée à priori d'un point de vue éditorial car
les joueurs en voulaient sûrement plus !
Au niveau technologie donc, j'étais pas mal fier de mon nouveau moteur tout
neuf en assembleur Z80 (ça me fait frémir rien qu’en pensant à ce processeur,
qu’est-ce que j’ai aimé le programmer ! comme le 68000 un peu plus tard !) et
qui affichait les images directement de la lecture D7/K7 des secteurs via un
buffer circulaire pour minimiser la mémoire (pas question de retomber dans les
problèmes de F&F au niveau mémoire !). Je ne sais pas si tu l'as vu, mais
les écrans s'affichaient bien plus rapidement dans Zengara que dans F&F,
bien que plus grand.
[Blood] J'ai tenté de
faire le jeu avec un magicien ou un prête et ça semble impossible. Le jeu
semble être prévu pour un guerrier seulement. Est-ce le cas ?
[Hervé Lange] Le thème principal était le guerrier en effet, mais j’ai dû
composer avec le fait qu’on pouvait récupérer un personnage de F&F de
n’importe quelle classe. Donc j’ai aussi adapté la création de personnage de
Zengara pour accepter les autres classes de personnage. Il est fort probable
que les réglages du jeu facilitent le guerrier cependant, donc que ce soit plus
difficile avec les autres classes, en tout cas s’ils n’ont pas acquis de
l'expérience préalablement avec F&F.
[Blood] Je n'ai pas
trouvé comment récupérer les sorts une fois utilisés
[Hervé Lange] Hum, l’aventure étant plus courte je ne crois pas qu’il y ai
un moyen de régénérer ces sorts effectivement, surtout que le jeu est axé
guerrier… il faudrait que je creuse le code source pour valider ce point
cependant…
[Blood] Les compétences
semblent inutiles la plupart du temps, par exemple le lancer de grappin sert
une fois pour mourir écrasé en tombant de la tour. Pourquoi les avoir
inclus ?
[Hervé Lange] Je suis certain que ces compétences étaient prises en charge
dans les calculs, si ça ne marchait pas avec le guerrier c’est possible que
cela fonctionnait mieux avec un voleur par exemple, ou c’est qu’il y avait un
bug. On utilisait beaucoup de fonctions aléatoires à l'époque, si tu as joué
sur un émulateur, les résultats vont varier selon la précision de l'émulation
du hardware.
[Blood] Que peux-tu me
dire sur les influences de Zengara ?
[Hervé Lange] Concernant les références oui j'ai été effectivement pas mal
bercé par les comics et assez fan de Robert E. Howard et de Conan : il y a dans
Conan un peu de Deckard je trouve, si on regarde au-delà des gros muscles... un
homme seul, désabusé qui doit survivre dans un monde violent et dogmatique
(religions dans un cas, technologies dans un autre) et qui trace sa
propre voie... ça m'a séduit, j’ai aussi adoré le film de Conan avec Schwarzy
et sa musique. Finalement, j'étais grand fan aussi des graphismes de Frank
Frazetta et de Philippe Druillet. A noter que l'histoire de l'anneau et de
Shadar sont sûrement influencées mais pas directement par ces comics; mais plus
en fait par le seigneur des anneaux dont le film d’animation de Ralph Bakshi
m’avait fortement impressionné ! A noter que l’inspiration des films était
monnaie courante à l'époque, il n’y a qu'à penser aux premiers jeux d’Ubi :
Zombi ou Manhattan 95… Je pense encore une fois que naturellement le jeu vidéo
naissant s’est révélé dans un premier temps dans ce qui était connu, comme le
cinéma dans le théâtre en son temps.
Par ailleurs je me permettrai ici une petite digression qui n'intéressera
probablement pas grand monde, mais j’ai toujours pensé que les jeux vidéo
avaient une filiation plus forte avec la BD qu’avec par exemple le cinéma. En
effet, le dessin et la BD permettent d’imaginer sans limites (c’est aussi vrai
pour la littérature), loin des contraintes du cinéma qui reste assez dépendant
du monde réel (cela a changé cependant avec le numérique). Le jeu vidéo
japonais s’est aussi beaucoup inspiré des mangas par exemple. Donc pour ma part
l’influence de la BD a été déterminante (Stan Lee, Mœbius, Philippe Druillet,
Christin et Mézières, Enki Bilal, Frank Miller, Marco Patrito pour n’en citer
que quelques-uns), et a culminée dans mon jeu B.A.T.
[Blood] Est-ce qu'il te reste
des documents d'époque sur la conception du jeu ?
[Hervé Lange] Malheureusement non!
[Blood] Je crois avoir
lu que tu avais bidouillé une espèce de crayon optique avant l'heure, c'est
cette technique que tu as utilisé pour les dessins de Zengara ?
[Hervé Lange] Pour le crayon optique oui tout à fait mais seulement pour
quelques dessins vers la fin du projet. Je crois que c'était un crayon optique
pour Lorigraph dont j’avais implanté la diode de lecture sur la tête
d’impression de mon imprimante - un scanner maison si tu veux. Les dessins de
Fer & Flamme me prenaient 4 à 6 heures de travail chaque, et avec le
scanner je réduisais ce temps de 50% en facilitant la composition (difficile de
copier des parties de dessin avec les logiciels graphiques de l'époque). Par
exemple je pouvais calquer des morceaux de dessins, les disposer les uns par
rapports aux autres (composition), puis photocopier le résultat et le mettre
dans l’imprimante pour récupérer en Mode 2 une image noir et blanc, restait
plus qu'à finaliser avec de la couleur, pixel par pixel, trame par trame :-).
[Blood] Tu avais ton mot
à dire sur les jaquettes de tes jeux, tu pouvais refuser ou demander des
modifications ?
[Hervé Lange] Pour la jaquette non je n’avais pas mon mot à dire et
honnêtement je les ai toujours trouvés moches… les goûts et les couleurs
sûrement ;-).
[Blood] Tu aurais vu
quoi comme jaquette, tu as des auteurs ou des images à me montrer ?
Pour la jaquette, c’est sûr qu’une illustration de Philippe Druillet ou de
Boris Vallejo (exemple pour F&F) ou encore de Frank Frazetta aurait été fantastique. Quand tu vois les jaquettes d’Ultima ou des jeux SSI de l'époque, les jaquettes d’Ubi faisaient... pitiés :-) sans jugement pour Jocelyn (que je n’ai jamais rencontré), je ne sais pas dans quelles conditions il devait faire son travail.
[Blood] Que peux-tu me
dire sur le système de combat ?
[Hervé Lange] Pour les combats je voulais faire quelque-chose de plus
arcade vu que le thème ici était le guerrier (à la “Barbarian”). As-tu remarqué
la vue de côté ? Les combats devaient être animés, mais comme je n’avais pas
d’animateur et que je me suis vite rendu compte que cela me prendrait trop de
temps alors je me suis rabattu sur un combat plus type RPG en texte qui
pourrait de toute façon être réutilisé dans la version K7… un mal pour un bien ?
Pas sûr en fait que les amateurs d’aventure auraient aimés des phases d’arcade…
Cependant, je ne peux confirmer que les combats soient truqués… le problème
selon moi est que j’ai utilisé des routines aléatoires qui probablement
“pipent” le jeu mais ce n’est pas volontaire : manque de temps et de test, de
“balance” comme on dirait aujourd’hui. Peut-être qu'il y a aussi un bug ici, et
comme j’ai fini plusieurs fois tous les jeux que je faisais, c’est impossible
que je puisse le sortir en me disant qu’il fallait modifier le code! Saches que
tu n’es pas le seul à avoir critiqué cette partie, Ubi Soft m’avait fait la
remarque et selon eux c’est ce qui avait fait que le jeu n'a pas marché Une question
: As-tu essayé le jeu avec un personnage de F&F ? Il est possible que ce
soit un peu plus facile via l’import…
[Blood] Pour être
parfaitement honnête, j'ai rencontré une personne ayant fini le jeu sans
tricher, il m'a dit avoir dormi toutes les 2mn pour faire remonter sa force.
Par contre, entre l'émulation et les différentes versions existantes,
originales et crackées, sincèrement, j'ai bloqué au bout du second combat que
je ne parvenais pas à remporter. J'utilisais peut-être une mauvaise version
mais j'ai déjà eu tellement de mal à trouver une rom qui bug pas avec
l'émulateur que finalement, comme j'ai vu que même avec une force au maximum et
la meilleure épée du jeu, je ne parvenais pas à remporter le second combat :
j'ai triché. Mais il n'a pas suffi que je mette la force au max, il fallait
aussi que je mette l'expérience au max et une autre valeur. Bref, j'ai eu
quelques difficultés à finir le jeu.
[Hervé Lange] Pour les combats, hum je vois. C’est sûr que les émulateurs
doivent probablement perturber les routines aléatoires car je me demande à quel
point ces derniers simulent précisément le hardware de l'Amstrad… Donc si le
“seed” d’un random est différent ou les cycles CPU ne sont pas les même, ça peut
changer beaucoup de chose… En tout cas incroyable que tu te sois accroché pour
aller jusqu’au bout, tu mérites donc que je prenne un peu de temps pour
t'écrire !
[Blood] Zengara était
davantage poussé que Fer & Flamme au niveau de l'histoire comme de la
réalisation, pourtant il a été moins bien reçu par la presse, pourquoi d'après
toi ?
[Hervé Lange] Pour moi aussi Zengara est mieux réussi que F&F (Malgré
les bugs) ; j'ai dit quelque part que la presse n'a pas aimé et que j'avais été
déçu... J'aimerais ajouter que je ne fus pas déçu du fait qu'il n'ait pas
marché (c'est le risque), mais que la presse de l'époque n'a même pas essayé le
jeu plus loin que les premiers écrans (comme tu l’as bien vu); pire en disant
que les écrans étaient les même que F&F (ce qui est totalement faux !) Je
soupçonne Ubi de ne pas avoir supporté le jeu également en devenant à cette
époque plus distributeur (Epyx) que réel éditeur, mais ça c'est une autre
histoire…
[Blood] Tes RPG ont la
réputation d'être assez difficile et de contenir quelques bugs, que peux-tu me
dire là-dessus ?
[Hervé Lange] 1. Pas ou peu d'équipe de test chez les éditeurs (comme tu
l'as mentionné), et comme chaque personne qui a travaillé sur un projet
informatique le sait : le développeur est la pire personne pour tester son
programme. Pour Fer & Flamme, mon frère Thierry m'ai aidé mais
principalement pour traquer les crashs... Personne à part moi ne s'est occupé
de la jouabilité, donc je suis seul responsable des bons et des mauvais côtés
de cet aspect.
2. Les contraintes de livraisons: il fallait shipper pour Noël et
coute que coute, par exemple pour Fer & Flamme (mentionné dans l'entrevue
de "NoRecess") je me suis heurté à un bug mémoire genre le 19
décembre alors que je devais livrer le master du jeu genre le 22 au
duplicateur... j'ai travaillé quasiment 24 heures d'affiler sans manger et
dormir pour régler ce problème... J'étais encore étudiant, mes parents étaient
inquiets mais j'ai pu livrer à temps. Je me suis même occupé des réglages des
machines avec le duplicateur car j'avais utilisé un formatage de disquette
spécial et à la limite de ce que ces machines de duplication pouvaient faire...
trop même et j'ai dû revoir mon formatage au dernier moment et à la baisse pour
assurer que tous les lecteurs de disquette allaient pouvoir lire les données
(et enlever une ou deux images par la même occasion)... Toujours dans ces 4
jours de folie ; donc tu imagines que le jeu n'a pas été retesté dans son
intégralité avant la sortie... Puis après, très peu de considération des
éditeurs pour améliorer les jeux et fixer les bugs (pas de patch) sauf en cas
de grosse catastrophe.
3. Enfin, le côté "casse-tête" faisait partie de la conception du
jeu... il faut savoir que les éditeurs négociaient les solutions en exclusivité
avec les magazines de jeux (Tilt, etc.), un win-win deal pour les
éditeurs qui faisaient de la pub gratis surtout pour les jeux importants, et
aussi pour les magazines qui s'assuraient du tirage pour les jeux à succès...
bref il ne fallait surtout pas que les joueurs finissent les jeux trop tôt, et
pour vendre un maximum de jeux il fallait si possible que les pirates ne
déplombent pas le programme trop tôt non plus en donnant des cheat-codes
; une course contre la montre et un vrai casse-tête pour les auteurs comme moi.
Je crois que pour Fer & Flamme, la solution faisait deux pages
(probablement dans Tilt mais je ne suis pas sûr), je ne sais pas si quelqu’un
l’a retrouvé.
Mais loin de moi l’idée de critiquer les éditeurs et les magazines : le jeu
vidéo commençait, et comme tout art majeur naissant (donc mineur à l’époque) il
s’est d’abord positionné en référence avec les autres arts plus majeurs (d’où
l’influence du cinéma, des romans, des bandes-dessinées, surtout pour les jeux
d’aventure) ; puis a dû exploiter et négocier les média bien installés comme
les journaux spécialisés pour se faire connaître. Je crois que mes jeux
caractérisent très bien cette époque.
Bref c’est encore plus impressionnant quand des gens aujourd’hui finissent
ces jeux, sans les soluces associées.
[Blood] Je repense à tes
parents, ils ne devaient pas comprendre pourquoi tu te mettais une pression de
malade pour sortir un jeu vidéo, ils devaient avoir peur ?
[Hervé Lange] Je dois dire que mes parents ont été très compréhensifs, à
partir du moment où je présentais des bons résultats à l'école tout allait
bien… et puis quand Fer & Flamme a rapporté quelques bons chèques, ca a
aidé… Sais-tu que j'ai pu aider mes parents à financer mes études supérieures
grâce aux royalties de F&F ? A l'époque c’est sur “qu’auteur de jeux vidéo”
était perçu comme un ovni ou un passe-temps, donc rien de sérieux; il n’y a
qu'à voir comment on devait déclarer nos revenus : d’abord comme écrivain, puis
comme agriculteur, LOL !
[Blood] J'aimerais
revenir sur cette histoire d'impôts, tu étais en âge de faire toi-même ta
déclaration ? Tu n'étais pas sur celle de tes parents ? Et comment ça se
passait alors, tu avais quelque chose de dégressif, c'était pris en compte
comme un salaire ? Parce qu'à la base, tu avais un fixe et des chèques par la
suite, corrige-moi si je me trompe ?
[Hervé Lange] Concernant l’imposition des auteurs, en ce qui me concerne
oui j'étais au départ sous celle de mes parents et avec mon père on avait été consulté
plusieurs inspecteurs des impôts pour savoir comment déclarer les royalties. Je
n’avais pas de fixe mais j’ai eu une ou deux avances sur royalties qui furent
prélevées quand le jeu commença à être vendu. En parlant d’argent les auteurs à
l'époque étaient ceux qui en gagnait le moins : dis-toi que sur 100 balles (~15
euros), 20% était de la TVA, puis 50% du reste revenait aux distributeurs pour
que les jeux soient bien présentés dans les magasins (genre Fnac), l‘autre 50%
revenait à l'éditeur qui reversait (mettons) dans les 15% à l’auteur. Bref sur
100 francs de l'époque (15 euros), l’auteur, qui faisait carrément tout côté jeu -
recevait 6 francs (~1 euro)… alors quand j'ai appris que la moitié des copies
de Fer & Flamme étaient piratées, je me suis vraiment dit que j'étais le
dindon de la farce coté pognon… mais on était tellement passionnés, on voulait
juste faire d’autres jeux ! Ça parait donc logique qu'Ubi ai commencé à se dire
que distributeur était plus juteux que juste éditeur… notamment en distribuant
les produits étrangers...
[Blood] Peux-tu me dire
combien tu as gagné et combien de copies as-tu vendu sur fer et flamme et Zengara
stp ?
[Hervé Lange] Concernant les chiffres de vente, je ne suis pas sûre et de
toute manière je n’ai jamais eu un décompte clair de la part d’Ubi Soft. Je
dirais très approximativement dans les 15,000 exemplaires pour F&F et
peut-être dans les 5,000 pour Zengara, peut-être plus.
Les jeux étaient vendus un peu plus que 100 francs :-) et j'avais négocié
un pourcentage de 16% pour les royalties, un tarif supérieur au tarif usuel,
donc c’est un petit peu plus je crois et en tout cas pour les deux premières
années. J’ai reçu des royalties de F&F et Zengara jusqu’en 1990 (moins de
vente bien sûr).
[Blood] Penses-tu, comme
de nombreux joueurs, que tes jeux étaient précurseurs ?
[Hervé Lange] Tu n’es pas la première personne à me dire ça. Par exemple,
j’ai rencontré David Cage il y a quelques années à Paris et il m’a raconté
qu’une des inspirations de Nomad Soul était B.A.T., et qu’il se rappelait de ma
passion lorsque, jeune joueur, il était venu me voir dans un salon pour avoir
un autographe… Patrick Hellio, qui a écrit un article sur B.A.T. dans son livre
des 30 ans d’Ubi Soft y voit aussi un précurseur des jeux de type “sandbox”
(GTA,...). J’aime à croire que c’est vrai :-) Je suis aussi étonné de voir
qu’on ne mentionne pas B.A.T comme précurseur des jeux “immersive sim” qui
prennent de l’ampleur ces temps-ci, mais c’est vrai que les Américains ont tout
inventés !
[Blood] Par contre, au
final, pourquoi t'être lancé dans le RPG, je veux dire, y a-t-il des jeux, à
l'époque comme depuis, qui t'ont particulièrement marqué dans cette catégorie ?
[Hervé Lange] Pour le RPG c’est une longue histoire. Oui il y a eu la
tentative de rivaliser avec Ultima pour l’Amstrad, je me demande si ce n’est
pas Philippe Derambure (qui édita mes premiers jeux) qui m’a challengé
là-dessus d’ailleurs. Un peu plus tard sur Atari ST il y a eu Phantasie III qui
m’a pas mal plu, et les turpitudes de Nikademus ne sont pas étrangères à
l’inspiration de mon Vrangor pour B.A.T.
Mais plus profondément ce qui m’a toujours intéressé était de rendre une
histoire interactive et vivante, d’y créer un monde. Mon approche s’est très
vite concrétisée dans un mélange de simulation de monde et de jeu d’aventure
graphique pour donner le maximum de liberté au joueur d'expérimenter ce monde;
tout en stimulant son plaisir via des énigmes qui forment une trame narrative à
la fin, et donc propose une ou plusieurs fins. Le RPG a toujours été le genre à
mon avis qui simule le mieux les mondes, par définition un RPG propose un monde
cohérent avec ses règles, et j'ai toujours cherché à rendre visuel sa
représentation strictement numérique à l'époque.
Bien sûr il y a toujours une tension entre raconter une histoire et la
jouabilité, je pense que mes jeux ont explorés diverses solutions pour mitiger
cette tension… l’injection d’une dimension simulation me permettait de
contrecarrer la linéarité des jeux d’aventure, de renforcer l'idée qu’un monde
avait été recréé, mais avec le risque effectivement de complexifier le jeu, le
rendre plus abstrait, plus difficile à tester et donc plus fragile aux
incohérences… ce fut mon choix.
[Blood] Et pour le côté
aventure, il y a des titres qui t'ont inspirés ?
[Hervé Lange] Au niveau inspiration, je pense que l’influence vient plus de
jeux comme Transylvania ou Masquerade sur Apple IIe; et bien sur Ultima pour la
possibilité de représenter des mondes. Je pourrais citer les jeux d’aventures
Oric come le Mystère de Kikekankoi, Le Manoir du Dr Genius, Le Diamant de L'île
Maudite ou encore L’Aigle d’or, mais ils n’ont pas eus une grande influence sur
F&F et Zengara.
[Blood] Merci pour les
influences, par contre je vois que tu cites beaucoup de jeux Loriciels, même
s'ils n'ont pas eu de réel impact sur tes jeux, mais à ce moment-là, pourquoi
ne pas avoir signé chez eux plutôt que chez Ubi si tu aimais déjà leur travail
?
[Hervé Lange] Concernant les influences j’ai peut-être mal interprété ta
question. Il n’y a pas eu une influence claire qui m’a conduit à faire ces
jeux, l’inspiration est plus venue des Comics et des BD. Cependant au niveau
jeu vidéo les influences les plus tangibles sont d’une part Ultima, non pas que
je trouvai le jeu si intéressant mais par la perspective qu’il donnait de
représenter des mondes. J’ai aussi pensé que de produire quelque chose de ce
type sur Amstrad (plutôt que sur des machines plus coûteuses en France) allait
intéresser pas mal de joueurs, et je ne voyais rien de similaire sur cette
machine… Et d’autre part je suis venu au RPG via la case jeu d’aventure (d'où
la série de jeux que j’ai mentionné) et donc avec l'idée qu’il fallait que ce
soit très visuel, avec beaucoup d’images; voire d’animations, ce que me
permettait de faire le CPC avec D7. J’ai donc mélangé ces deux influences, et
pas spécifiquement en m'intéressant à Loriciels.
Maintenant pour la petite histoire : Suite à la fermeture de France
Logiciels (où je devais éditer F&F), j’avais d’abord été voir la compagnie
Chip car j'étais intéressé par ce que Carlo Perconti était capable de faire sur
les machines; il maîtrisait bien mieux que moi les techniques de scrolling et
de sprite. J’aurais bien aimé bénéficier de ses techniques pour le scrolling de
la carte de F&F par exemple. Chip était intéressé mais ils m’ont dit de
revenir quand le jeu serait fini, bref je devais me débrouiller seul. Puis, mon
frère Thierry a rencontré une personne en contact avec une nouvelle compagnie
qui venait juste de se créer : Ubi Soft. Je me suis rendu dans leur bureau à
Créteil et j’ai montré mon jeu à Gérard Guillemot qui l’a trouvé intéressant,
et m’a proposé de l'éditer direct si je changeai mon système d’interface pour
des icônes permettant un contrôle du jeu au joystick. Ils étaient ouverts en
plus à la possibilité d’avances sur royalties en cas de besoin. En voyant Zombi
je me suis dit que l’esprit de cette compagnie correspondait à ce que je
voulais faire, et j’ai signé. Pour Loriciels, ça n’a juste rien donné, j'étais
plus intéressé par Chip et Carlo, mais le destin a voulu que je signe avec Ubi.
[Blood] Merci beaucoup
pour ton anecdote sur Carlo Perconti. Je dois t'avouer que je connais peu son
travail, tout comme sa compagnie
[Hervé Lange] Carlo a commencé chez Loriciels, à l'époque ses jeux
n'étaient pas très originaux, reprenant des standards pour Amstrad mais
techniquement assez aboutis comme MLM3D (Moon Patrol), Galachip (Galaxian) ou
Zaxx (Zaxxon).
[Blood] Que ce soit ton
premier éditeur ou Ubi Soft, quelle aide te fournissaient-ils au niveau de la
programmation ? Est-ce qu'ils te filaient des manuels, le nom d'un gars qui
bossait chez Oric France ou Amstrad France pour t'aider à programmer tes jeux ?
As-tu essayé de contacter ces constructeurs ?
[Hervé Lange] Cela m'amène au sujet du support pour les programmeurs chez
Ubi à cette époque, au niveau technique ça va être court car à ma connaissance
il n’y en avait carrément pas ou peu, les auteurs étaient responsables à 100%
du code et devaient se débrouiller ! Par contre Ubi proposait de l’aide au
niveau artistique (graphistes et musiciens) selon la disponibilité des auteurs.
Par exemple pour F&F, Patrick Daher (graphiste de Zombi) m’a donné un coup
de main pour quelques graphismes (ça se voit d’ailleurs parce qu’il y a un
style graphique différent pour certains écrans). Par la suite Ubi a commencé un
peu plus à penser “studio” en louant une partie d’un château quelque part en
Bretagne, et à rassembler les développeurs. Je n’ai pas été dans ce château vu
que j'étais encore étudiant et donc il m'était impossible d’y résider.
Ubi aidait semble-t-il pour trouver des programmeurs qui allaient faire le
portage mais dans mon cas je n’ai pas eu de chance, car la personne qui devait
porter F&F et Zengara sur Atari ST a abandonné par manque de sérieux.
Dommage car j’avais trouvé un jeune graphiste talentueux dans ma promotion
scolaire: Olivier Cordoleani qui avait commencé à faire un superbe travail sur
les écrans Atari de F&F :-( Qu’à cela ne tienne, Olivier m’a rejoint sur
B.A.T., mais c’est une autre histoire ! J’aimerais bien savoir pourquoi Ubi n’a
pas voulu une version C64, je pense que cela aurait été tout à fait possible
pour F&F et Zengara (on l’a fait pour BAT !) Dommage encore une fois…
Je ne crois pas qu’il y avait de partenariat de ce type entre Ubi et les
constructeurs à cette époque, et en ce qui me concerne je n’ai pas contacté les
constructeurs d’Oric ou d’Amstrad et je n’ai jamais demandé ou reçu d’aide de
leur part. Il y avait probablement des accords au niveau des machines vu qu’Ubi
en fournissait à certains auteurs (664 et 6128 pour mon compte). Il faut aussi
voir que c'était des sociétés qui faisaient principalement de la vente du
matériel, donc peu organisé pour la partie logicielle; donc je ne crois pas
qu’ils auraient pu aider… Ca a un peu changé plus tard, je me rappelle pour
B.A.T 2 et via Ubi, j’avais pu avoir les specs techniques de l’Amiga (le livre
noir) directement de Commodore, pour programmer les processeurs en tenant
compte des timings électroniques de la machine (DMA, etc.).
[Blood] Un dernier mot
pour conclure ?
[Hervé Lange] Désolé pour le long texte mais voilà tu sais tout maintenant,
en tout cas ce que ma mémoire veut bien me restituer, ça fait un baille cette
histoire… J’ai tout de même un pincement au coeur de ne pas avoir fait
F&F2, ce fut BAT à la place (je préfère aussi le Cyberpunk) mais tout de
même j’ai le sentiment de ne pas avoir fini ce que je voulais faire...
Pour terminer, tu as tout à fait raison : Zengara peut être vu comme une
transition vers B.A.T., tu retrouveras la prédominance du graphique et du jeu
d’aventure sur le RPG, des gameplay variés, des dialogues à base de menu, et
des PNJs plus poussés. Bien vu.
Un énorme merci à Hervé Lange pour sa disponibilité, sa patience et la
pertinence de ces réponses. Merci à également à la communauté du Fétiche Micro
sur le Facebook éponyme pour ses nombreuses questions ! Interview réalisée par Blood le 6 Juin 2019 pour le blog Arkalys Project, tous droits réservés.